La stratégie de spécialisation intelligente S3 de La Réunion : renforcer la résilience du territoire (2)

Action prioritaire n°2: Atteindre l'autosuffisance alimentaire biologique grâce à l'agro-écologie tropicale.

Publié le 31/03/2020

 

 



Fiche-action n°2 : Viser l’excellence en agro-écologie tropicale


A l’échelle planétaire, 17% des sols cultivés sont aujourd’hui sévèrement frappés par l’érosion et 70 000 km² abandonnés chaque année sous l’effet de l’épuisement des sols. Plus de 25% des terres arables sont affectées par une forme d’érosion, de salinisation ou de désertification. D’après les prévisions du GIEC, la combinaison de la fonte des glaciers alimentant les grands fleuves et de la destruction des forêts causée par l’élévation des températures et les pluies acides, pourrait placer jusqu’à 5 milliards de personnes en situation de stress hydrique contre 1,7 milliards aujourd’hui 13 . Et les récoltes devraient chuter d’1/3 sous les tropiques du fait de la sécheresse et des invasions parasitaires.


Pour un petit territoire aux besoins élevés, il importe donc de développer des pratiques agricoles qui préservent la complexité et la résilience des agroécosystèmes, en rétablissant notamment la diversité et les interactions qui conditionnent leur intégrité. Cette spécialisation innovante répond à des impératifs tant écologiques qu’économiques et présente de nombreux avantages :


  • Une forte intensité en travail intellectuel comme manuel (design et entretien des espaces cultivés)
  • Des savoir-faire exportables vers des pays tropicaux et insulaires, aujourd’hui dépendants de processus productifs qui les privent d’autonomie et d’une part importante de leurs revenus
  • Des productions à très forte valeur ajouté et qualité, dotée d’une labellisation biologique, voire d’une appellation certifiée qui permettra à La Réunion de se différencier face à des producteurs standards disposant de grandes économies d’échelle. Et ainsi d’exporter vers des marchés de niche très sensibles aux certifications biologiques de haut rang et aux terroirs d’exception tels que l’Union Européenne et les pays du Golfe.


a) Contexte et objectifs


Cette action vise le renforcement de l’activité RDI en agronomie tropicale à La Réunion pour soutenir l’intensification écologique de l’agriculture et répondre aux besoins économiques du territoire et des pays de la zone OI tout en favorisant les liens et synergies entre les exploitations agricoles, les entreprises, les centres de R&D et l’enseignement supérieur. Concrètement, il s’agit de développer, dans un contexte insulaire tropical, fortement contraint, une agriculture durable (économiquement viable, respectueuse de l’environnement et des hommes) visant à tendre vers l’autonomie alimentaire et le développement du secteur agro-industriel. L'engagement sur la voie de l'agroécologie propulsera le territoire au rang de pionnier face aux défis du XXIème siècle (indépendance énergétique, autonomie alimentaire, préservation des milieux naturels) et représentera l'opportunité de mettre à profit et développer l'excellence réunionnaise, façade européenne dans l’Océan Indien, pour un rayonnement international.
L’agroécologie s’entend comme le support d’un développement agricole et alimentaire durable mettant en œuvre un ensemble de moyens visant à améliorer les performances environnementales et techniques des systèmes agricoles en intensifiant les processus naturels et en recréant des interactions et des synergies bénéfiques entre les composantes de l’agrosystème. L’aboutissement complet de cette démarche conduit à la production « Agriculture Biologique (AB) ».


Le climat local, de type subtropical, est contrasté par le relief de l’île et est très marqué selon les lieux et les périodes. Ces contraintes économiques, démographiques, climatiques,…impactent les écosystèmes naturels de l’île, déstabilisant un équilibre très fragile. On observe ainsi, à La Réunion, depuis le début des années 80, une dégradation accélérée de certains milieux naturels, une pollution des cours d'eaux et aquifères et de certaines zones marines de proximité. En agriculture, la dernière décennie a été ponctuée de plusieurs crises sanitaires résultant toutes d’interactions épidémiologiques entre populations animales ou végétales.


Pour les filières animales, l’objectif général vise à mieux comprendre quelles sont les conditions favorables à l’émergence de maladies notamment celles communes à l’homme et l’animal dans la zone Océan Indien afin d’améliorer les moyens de lutte opérationnels. Certaines maladies spécifiques, les zoonoses, concernent l’homme et l’animal et ont un impact direct sur la santé humaine. D’autres pathologies concernent exclusivement les troupeaux d’animaux de rente altérant à des degrés divers les fonctions de production de systèmes agricoles insulaires complexes ou de systèmes d’activité des ménages. Leur impact est alors essentiellement social et économique, mais peut aussi être environnemental. Les enjeux liés à ces maladies émergentes sont considérables. Pour les filières végétales et notamment l’ensemble de la filière fruits et légumes à la Réunion les pertes de production représentent près de 5 millions d’euros par an soit 4% du chiffre d’affaire des agriculteurs. L’introduction d’espèces envahissantes et de bioagresseurs est un des effets les plus dramatiques des changements globaux dans les îles, menaçant l’équilibre fragile des écosystèmes naturels et cultivés. La Réunion est particulièrement concernée puisqu’elle importe massivement des végétaux et produits végétaux. Le taux de couverture du marché réunionnais des producteurs locaux est de 70% de produits frais et de 5% sur le transformé. Cependant, avec plus de 600 maladies et ravageurs agricoles (pour beaucoup d’introduction récente), la sécurité alimentaire de La Réunion et la compétitivité de son agriculture sont régulièrement menacées. Le constat est le même pour l’ensemble des pays de la COI. A La Réunion, plus de 850t de pesticides sont toujours importées et l’objectif de réduction de leur usage de 50% à l’horizon 2018 semble difficilement atteignable sans innovations agroécologiques majeures et surtout leur transfert rapide et généralisé aux agriculteurs (objectifs des Réseaux d’Innovation et de Transfert Agricole (RITA)). De plus, concernant les fruits et légumes, La Réunion se trouve face à un défi majeur pour maintenir la production endogène et l’auto-approvisionnement ad minima à son niveau actuel. Pour répondre à ce défi, une augmentation de la production de 40 % (passage de 100 000 T à 140 000 T) sur les 10 prochaines années est impérative pour garantir en partie la sécurité alimentaire de l’île. Les PAPAM (plantes aromatiques parfumées et médicinales) comme les autres plantes à haute valeur ajoutée (café, cacao, poivre) ont un potentiel qu’il convient de développer pour conquérir les marchés de niche puisqu’elles n’occupent que 1% de la surface cultivée de l’île. La nécessité de produire plus passe par une augmentation des rendements, mais aussi par la réduction des pertes des productions agricoles qui, au-delà de La Réunion, préoccupent de plus en plus la communauté internationale.


La Réunion peut en cela être un exemple. L’échange des denrées agro-alimentaires dans l’Océan indien ne représente que 10 % des produits importés. Il est limité par la méfiance sur la qualité des produits frais souvent non conforme aux exigences sanitaires. L’amélioration de la qualité des productions agro-alimentaires de la zone revêt donc un enjeu fort d’intensification des échanges régionaux de produits agroalimentaires. Il faudra concevoir des systèmes de production agro-alimentaire plus durables dans lesquels les qualités des produits et des modes de production constituent leur valeur ajoutée.


Le concept de « développement durable » a d’abord été mobilisé pour améliorer la production agricole aux points de vue économique, environnemental et social. Mais au delà de la production proprement dite, la contribution de l’agriculture à la durabilité des territoires est un enjeu majeur pour les acteurs agricoles et les décideurs publics. La Réunion doit donc tendre vers une agriculture écologiquement intensive et œuvrer au niveau régional pour réduire les risques sanitaires, assurer sa sécurité alimentaire et protéger sa biodiversité. Elle se doit d’évaluer les impacts positifs et négatifs et les services écosystémiques de sa production agricole à l’échelle du territoire par des démarches agroécologiques et déboucher sur de nouveaux services agro-environnementaux des activités agricoles. La nécessité de produire mieux passe par une réduction des impacts environnementaux des systèmes techniques et par l’augmentation de l’efficience de l’utilisation des ressources naturelles. La stratégie développée a aussi l’ambition de rendre l’île plus autonome en énergie et en intrants agricoles en se basant, notamment, sur l’abondante production primaire des agroécosystèmes (550000 T/an de bagasse, 70000 T/an d’écumes de jus de canne, 200000 T/an de vinasses, 1000 T/an de peaux, pépins et noyaux et 10000 T/an d’écarts de tri, surproductions et déclassements issus de la filière fruit et légumes, 6750 T/an de carcasses, viscères, graisse et sang). Le traitement ou la valorisation des déchets, notamment par le recyclage agricole de produits résiduaires organiques d’origine urbaine, agricole ou industrielle, est un enjeu majeur dans ce contexte insulaire. L’efficience globale de l’île doit être recherchée à travers la réduction des importations d’engrais et d’énergie : cette recherche d’efficience sur un territoire bien délimité peut constituer une spécialisation de La Réunion pour un développement économique et social durable en contexte insulaire.


La finalité est de contribuer à la réflexion des différents acteurs du développement concernant trois préoccupations sociétales majeures :
1- l’augmentation de la production et de la valorisation de la biomasse à des fins alimentaire (produits végétaux et animaux) et non alimentaire, en particulier la production d’énergie à partir des différentes biomasses afin d’accompagner l’indépendance énergétique de La Réunion ;
2- le recyclage des nutriments (déchets urbains et agro-industriels, effluents d’élevage) visant une forte réduction des engrais importés gros consommateurs d’énergie et
source d’émissions de GES, avec la maîtrise concomitante des flux de contaminants vers les différents compartiments de l’écosystème (eau, plante, sol, atmosphère) ; l’agroécologie est comprise ici à travers le bouclage des grands cycles biogéochimiques ;
3- l’optimisation de la gestion intégrée des ressources (biomasse, foncier, intrants …) pour garantir la viabilité des différentes activités à l’œuvre au sein du territoire.


b) Description des actions :


Les actions cherchent à :


  • Favoriser l’excellence de la production agricole agroécologique et accompagner l’installation et la conversion des agriculteurs à l’agriculture biologique ;
  • Favoriser l’excellence en Recherche et Innovation et à développer les partenariats internationaux ;
  • Structurer les filières de production agricole agroécologique ;
  • Soutenir des centres de compétences et l’établissement d’interconnexions intelligentes entre les agriculteurs, les entreprises, les centres de recherche et l’enseignement supérieur;
  • Mobiliser les acteurs locaux et régionaux;
  • Favoriser l’apprentissage mutuel et l’action conjointe


L’agroécologie étant une approche intégrée du milieu qui nécessite des filières professionnelles mobilisées et innovantes, accompagnées d’une recherche sur la compréhension des mécanismes et d’une ingénierie de nouveaux systèmes, l’action portera sur des thématiques transversales telles que :
La préservation de la ressource tropicale et endémique grâce à : la collecte et la conservation de semences, la mise en place d’arboretum et un centre de ressources biologiques dédiés, la gestion agroécologique des ravageurs des cultures et la lutte contre les plantes invasives; la surveillance épidémiologique animale et végétale pour la prévention et la lutte contre les maladies, une stratégie de plantation de matériel végétal sain dans le cadre de la maîtrise technologique et opérationnelle de création de variétés adaptées pour une meilleure valorisation des ressources génétiques végétales ; l’identification des canaux et risques majeurs d’introduction des maladies et les facteurs de diffusion et de persistance de ces maladies ; la mise au point des outils de diagnostic et de contrôle qui permettent de confirmer des suspicions et de lutter de manière plus efficace contre ces maladies.



La biodiversité comme moteur de création de richesses grâce à : la promotion et le développement de produits de haute qualité (produits issus de l’agriculture biologique raisonnée) ; la recherche de nouvelles filières agroécologiques de production alimentaire sur terre comme en milieu aquatique (algues), la recherche médicale, la valorisation cosmétique, l’expertise technique en préservation des milieux naturels, l’expertise en restauration écologique, la valorisation et le développement de la biodiversité urbaine/agro-urbanisme. 


L’accompagnement technique des producteurs réunionnais grâce à : des recherches en agroforesterie et agronomie tropicale ; des programmes de restauration écologique couplés à la production agricole ; la valorisation des savoirs-faire locaux ; l’adaptation variétale ; l’établissement d’un réseau de conservateurs in-situ de sélections variétales et traditionnelles à préserver ; des cultures expérimentales sous couvert végétal, des recherches sur les engrais verts en milieu tropical, le développement d’une apiculture de qualité (miel spéciaux et produits dérivés) et des services de pollinisation par l’abeille et les pollinisateurs vibreurs indigènes, le contrôle des zoonoses alimentaires. 



La stimulation de l’exemplarité réunionnaise grâce à : la création de fermes expérimentales pilotes représentatives des savoirs-faire réunionnais en agroécologie et lieu d’échanges et de diffusion, la sensibilisation/éducation de la population locale par des jardins biologiques ou tout mode de communication adapté (à l’exemple des RITA).
La structuration des filières courtes et d’export de productions agroécologiques par : l’accompagnement et le développement de productions existantes AB, d’agriculture raisonnée et de celles destinées à des marchés de niche de haute valeur ajoutée, l’approvisionnement des restaurants scolaires, en faisant des économies d’échelle et la mutualisation de moyens ; la recherche de nouvelles niches commerciales propices à l’export.



La durabilité des systèmes agricoles et des procédés agro-industriels grâce à : l’identification et la modélisation des déterminants du rendement et de la qualité des produits agricoles et agroalimentaires ; la mise au point des techniques culturales et des procédés de transformation et/ou de conservation innovants répondant au cadre des contraintes de l’agroécologie, que ce soit pour l’agriculture raisonnée, l’agriculture sous abris et hors sol ou l’agriculture biologique ; l’analyse de l’impact des itinéraires et procédés pour réduire les pertes du système de production et de transformation destinés à améliorer la qualité des produits, tant dans les filières végétales
qu’animales; la co-conception de systèmes techniques et organisationnels répondant aux objectifs du marché réunionnais ; la mise en place d’une approche de substitution des protéines végétales importées pour l’alimentation animale ; la développement de la fertilisation organique des cultures pour substituer les engrais minéraux de synthèse tout en produisant davantage, notamment en systèmes canniers.



La valorisation des coproduits et des déchets organiques grâce à : l’évaluation multicritère des systèmes d’activités que sont les filières et les territoires agricoles et l’adaptation de ces systèmes aux changements ; la compréhension et la modélisation des processus biophysiques impliqués dans la production végétale et animale et dans les cycles biogéochimiques à l’échelle du système de culture ou d’élevage pour le recyclage des nutriments ; la valorisation de la biomasse à des fins non alimentaires et notamment les technologies de combustion, gazéification, méthanisation et biocarburants ; la gestion intégrée des ressources à l’échelle du territoire agricole.
Les attentes sociétales grâce à : l’identification des indicateurs d’évaluation de la pression exercée sur les ressources naturelles par les pratiques culturales ; la prise en compte des impacts des activités agricoles sur l’environnement ; l’identification des dangers alimentaires les plus prégnants, notamment la réduction des produits phytosanitaires de synthèse (pesticides) et la résistance aux antibiotiques des bactéries présentes dans l’environnement des élevages, tant à La Réunion que dans les pays voisins ; l’analyse des stratégies des acteurs et leurs impacts pour réduire les pertes du système de production et améliorer la qualité des produits ; la prise en compte de la qualité du produit mais aussi son mode de production, le lien à l’origine incluant les savoir-faire locaux de production et/ou de transformation et donc sa traçabilité; la caractérisation de la qualité biochimique et sensorielle des produits alimentaires ; la mise au point d’outils pour l’aide à la décision et l’aide à la valorisation des produits de qualité au service des acteurs ;l’identification des facteurs de risques sanitaires sur les aliments préparés ; la mise en évidence des maladies infectieuses zoonotiques ou végétales économiquement sévères qui circulent dans la zone ou qui peuvent être introduites depuis les pays proches géographiquement ; la mise en place d’observatoires ayant comme fonctionnalités l’analyse des besoins, l’acquisition de données, le traitement et la valorisation de l’information spatiale et temporelle sur des temps longs et la mise en réseau régionale.


c) Acteurs concernés
Association d'agriculteurs (AROPFL, AVAB, GAB, etc.), Associations (ADPAPAM, APLAMEDOM, ARMEFLHOR, CAHEB), Chambre d'agriculture, CIRAD, Qualitropic, Parc national, Syndicat du sucre. 


d) Moyens communautaires mobilisés


OT1 - POCT - Infrastructure de recherche Pôle de Protection des Plantes : 5 000 000€
FEADER - Mesure 11 Agriculture Biologique :
OT 1- PO - Soutien des activités de recherches appliquées dans le cadre de dispositifs en partenariat au sein d’une Plateforme Régionale de Recherches Agronomiques pour le Développement – PreRAD : 19 970 000 €
OT1 – POCT - Soutien à la coopération sur des projets de recherche appliquée, au sein d’une Plateforme Régionale de Recherches Agronomiques pour le Développement – PReRAD :8 500 000 €
FEADER - Soutien des activités de recherche appliquée agronomiques-Prerad : 17 565 000 €
OT10 – POCT - Programme de coopération enseignement agricole REAP AAOI : 500 000 €


e) Appels à projets H2020 concernés
SFS-5-2015: Strategies for crop productivity, stability and quality
ISIB-12-A. [2014] Sustainable and resilient agriculture for food and non-food systems
ISIB-8-B. Bridging research and innovation efforts for a sustainable bioeconomy
ISIB-12-D. [2015] Sustainable crop production
ISIB-12-E. [2015] Sustainable livestock production
SFS-1-C. [2015] Assessing sustainability of terrestrial livestock production
SFS-8-2014/2015: Resource-efficient eco-innovative food production and processing

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